Oser créer : l’exemple de la Méthode Lafond
La “tradition martiale à la française” a ses propres spécificités. Là où certaines traditions imposent une reproduction stricte d’une certaine forme de génération en génération, la tradition française, au contraire, n’a eu de cesse d’être adaptée. Chaque professeur, chaque maître a fait ses propres modifications en fonction de l’avancée technologique de son époque, en fonction des modes, en fonction du but recherché, de son ressenti personnel lié à sa compréhension, etc… tout en respectant des principes similaires.
Au juste, dans cet océan de traités, de manuels, quelle est la place de la création ?
“J’ai étudié des traités et je souhaite mettre en place mes propres séances d’arts martiaux français.”
Comment faire ? Ai-je le droit de le faire ? Quelle légitimité ai-je pour le faire ? Toutes ces questions se posent et, si je les évoque, c’est que nous nous les sommes posées et qu’on nous les a posées.
Pour y répondre, j’utiliserai la méthode, l’expérience et la vision qui m’ont été transmises par l’enseignement de la Méthode Lafond.
Avant toute chose : a-t-on besoin d’une légitimité pour créer une méthode ?
Voilà une question importante et qu’on entend souvent.
Pourquoi ? Car l’homme, pour suivre un enseignement, a besoin d’y adhérer, de la même manière que vous faites confiance à votre médecin lorsqu’il vous prescrit ou non un traitement.
Et inversement, un homme, pour enseigner, ne le fait que lorsqu’il s’en ressent une certaine légitimité. Quelles peuvent être ces sources de légitimité ?
-La pratique. C’est au fond la source morale de la légitimité. On fait plus confiance à une personne qui a de l’expérience (réelle ou supposée d’ailleurs). Ayez donc des heures de vol au compteur ! Pratiquez sans relâche les arts martiaux français dans un club ou non. Développez des compétences. Attention ! Il ne s’agit pas de débarquer avec une expérience du Kali ou d’une autre discipline exotique et de prétendre pouvoir créer une méthode d’Arts Martiaux Français parce qu’on aurait « de l’expérience ».
-Le savoir-faire. Peut-on sérieusement envisager d’enseigner, de créer une méthode, sans satisfaire ce critère fondamental ? Oui, la maîtrise technique est la condition sine qua non pour être légitime. Je dirai que c’est la source effective de la légitimité. C’est le seul élément qui vous fera passer pour autre chose qu’un charlatan.
-L’intelligibilité. La manière dont vous présentez votre méthode participe à l’impression que nous avons de son intelligibilité. Est-elle facile à comprendre ? Est-elle structurée ? Si elle est bien structurée, que ses origines sont transparentes, l’élève aura plus d’aisance à y adhérer. Il faut être capable d’en expliquer les tenants et les aboutissants, c’est-à-dire son contexte de pratique, son but, ses limites, son origine, etc… sans mentir et sans se faire passer pour ce que nous ne sommes pas. C’est ce que j’appellerai la source rationnelle de la légitimité.
-Le diplôme, comme source légale de légitimité. Ah ! Nous y voilà… Le diplôme… Je suis sûr que vous vous demandez si un diplôme est indispensable ou non. Je suis sûr que certains d’entre vous se sont dits qu’il leur manquait un diplôme pour se lancer. Et c’est bien normal. Finalement, un diplôme est censé valider un niveau de pratique, des compétences en matière de pédagogie. On aura nécessairement plus confiance en une personne diplômée car elle est censée être compétente. Est-il obligatoire ? Non. En France, on peut enseigner bénévolement sans diplôme. Il ne sera indispensable que si l’on souhaite enseigner contre rémunération.
Parmi les adaptations les plus récentes, étudions de plus prêt le cas de la Méthode Lafond.
Méthode Lafond : une méthode traditionnelle ?
Au risque d’en choquer certains, la Méthode de Maître Roger Lafond s’inscrit assurément dans la tradition des arts martiaux français.
Elle a été apprise par chaque membre de la lignée Lafond de manière traditionnelle, par l’enseignement direct avec un professeur ou un maître d’armes que ce soit dans un cadre militaire ou civil. Chacun, au terme de leur apprentissage respectif, a passé les diplômes qui correspondent à leurs disciplines.
D’ailleurs, la méthode Lafond en elle-même présente les caractéristiques d’une méthode traditionnelle d’arts martiaux français. Prépondérance de l’école française d’escrime, polyvalence de ses pratiquants, culture des armes, importance de la condition physique, objectif d’autodéfense, etc
La Méthode Lafond revêt, cependant, une seconde caractéristique tout aussi importante.
Le coup de pied bas vu par Charlemont à gauche et par Roger Lafond à droite.
Parade du coup de tête par Charlemont en haut ; parade de quinte par Roger Lafond en bas.
Parade du coup de jambe quarte par Charlemont en haut ; parade de seconde par Jean Lafond en bas.
Méthode Lafond : méthode moderne.
Roger Lafond clamait que sa méthode était résolument moderne. A travers son expérience de la guerre et de l’enseignement de nos disciplines traditionnelles, il a su les adapter au contexte de son époque. Il a donc mis sur pied une méthode parfaitement adaptée au monde civil à partir de la méthode militaire.
D’abord, il a fait évoluer la pratique de la boxe française et de la canne en tant que discipline sportive, codifiée en modifiant les postures, les mouvements, etc…
Il a, par ailleurs, développé la pratique de l’autodéfense par l’usage d’objets de tous les jours comme le parapluie.
Il a adapté la méthode aux impératifs de la population de son époque en mettant en place des séances courtes pour permettre aux travailleurs de pratiquer malgré des activités professionnelles chronophages, et mis en valeur la pratique de la culture physique pour contrer les effets de la sédentarisation.
Bref, on voit bien que Roger et Jean Lafond ont été des acteurs dynamiques de l’adaptation de leurs arts aux caractéristiques de leur époque et, en même temps, on voit aussi que leur méthode ne n’apparaît pas ex nihilo, mais vient d’une pratique intensive des arts martiaux français.
Autrement dit, dans le parcours des Lafond, il y a eu un processus durant lequel la tradition a été digérée, si je puis dire.
La garde au fusil à baïonnette en 1915 à gauche ; la garde du parapluie par Roger Lafond à droite.
Le “pointez” de l’escrime à la baïonnette à gauche ; le “piquez” du parapluie Lafond à droite.
Coup de crosse au fusil à baïonnette en 1915 en haut ; feinte dessous au double-bâton par Roger Lafond en bas.
Une méthode actuelle : entre tradition et modernité.
Pour peu qu’on respecte un certain “fond”, l’esprit d’une discipline, on peut dire que la création d’une méthode est la continuité de la tradition dans son sens originel. La tradition est affaire de transmission et s’inscrit nécessairement dans le temps et l’espace.
Sans adaptation permanente à un lieu, une époque, une population, la tradition ne peut que s’éteindre ou être mise sous cloche dans un musée. Elle resterait alors figée dans une époque qui n’est plus la nôtre.
C’est pour cela qu’au sein de l’Amicale des Arts Martiaux Français, nous utilisons certaines méthodes des arts martiaux historiques européens sans, pour autant, la considérer comme une finalité en soi. Dès que vous expérimentez un mouvement, que vous vous l'appropriez, il sort déjà du cadre strictement historique. Le mouvement, l'enchaînement technique, le coup porté entrent alors dans le temps présent.
Maintenant que nous savons que la survie d’une tradition passe par son adaptation, quel frein peut empêcher l’enseignant de créer sa propre méthode ?
Quel frein pour une création ?
A mon sens, deux freins peuvent agir dans l’esprit du pratiquant.
La sacralisation d’une pratique. S’acharner à pratiquer une discipline sans en changer le moindre détail peut en effet être un frein à la créativité. D’autant que chaque professeur enseignait différemment des disciplines certes similaires, mais avec des différences notables dans l’exécution des mouvements ou la dynamique du corps. Par exemple, dans la boxe française, Roger Lafond a modifié l’écart de jambes, modifié l’angle du coup de pied de poitrine, l’ouverture du pied d’appui, etc… Et pourtant, lui-même me disait « La Savate, il faut la respecter ». De la même manière, les frères Lecour enseignaient « une autre boxe française » que Joseph Charlemont. Il faut effectivement en respecter l’esprit, le fond martial, tout en cherchant à optimiser les mouvements, les enchaînements.
La sanctification de son professeur. Ce qui sort de la bouche de votre professeur n’est pas parole d’Evangile. Roger Lafond disait toujours de « ne jamais pontifier. » Il me disait aussi d’aller voir ailleurs comment cela se passait. Respecter à outrance les prescriptions de son professeur relève du sectarisme alors qu’un véritable professeur cherche à vous rendre autonome et libre. Vous pouvez faire votre propre recherche à partir de ce que l’on vous a enseigné. D’ailleurs, pour la petite histoire, j’ai connu des anciens qui, tout en revendiquant avoir apporté de nouvelles choses à la Méthode Lafond, ne pouvaient pas dire qu’il s’agit de leur propre méthode. Osons aller jusqu’au bout de l’enseignement en assumant nos apports.
On a désormais conscience de ces deux effets pervers ; mais au fond, où réside l’essentiel ? Où se trouve-t-on le feu de la création ?
Goût du partage et de l’expérimentation.
Quand on a connu Roger Lafond, on sait que ce qui lui importait, c’était que les gens pratiquent les activités physiques, que les gens se lancent. Promouvoir l’activité physique sous toutes ses formes, tel est le mot d’ordre de l’école de Joinville.
Alors, décalons notre propos quelques instants. Faisons un petit pas de côté.
Depuis que j’échange avec mes comparses, le Capitaine France, Lou Cigaloun et Rohirrim Kuro Neko, ma vision a quelque peu évolué. Nous avons tous les quatre des parcours différents. Certains d’entre nous sont pratiquants et diplômés d’arts martiaux asiatiques ou de sports de combat modernes et ne sont pas forcément issus d’une lignée de professeurs ou de maîtres au sens traditionnel du terme. Cela ne les a pas empêchés de chercher « ailleurs » pour mieux comprendre leur pratique.
Ce qui les caractérise le plus, c’est, d’une part, leur aptitude à expérimenter le mouvement, les enchaînements, à créer des outils d'entraînement, etc… bref à expérimenter, et d’autre part, leur capacité à développer leur culture dans le but de remettre les pratiques dans leur contexte. J’ajouterai même que, parfois, en écoutant mes camarades, je constate que certaines vérités jaillissent sans qu’ils en aient reçu l’enseignement au sens formel du terme car finalement la transmission peut se faire de multiples manières.
Prenez modèle et expérimentez. Par exemple, dans de nombreux traités, vous pouvez trouver des séances d’arts martiaux français littéralement « clé-en-main ». Sans forcément chercher à enseigner, vous pouvez pratiquer à plusieurs ces séances déjà construites par les anciens, tout simplement dans le partage. C’est cette envie de pratiquer ET de partager qui vous fera évoluer. Même sans recevoir d’enseignement formel des arts martiaux traditionnels français, vous pouvez vous construire votre expérience et, au fur et à mesure, avec les heures de vol, construire votre méthode dans le respect du fond martial traditionnel. En pratiquant des séances déjà construites, vous allez les rendre vivantes, vous les approprier et nécessairement les modifier pour vous, en tant que pratiquant ou vos élèves, si vous animez un groupe de pratique et d’étude.
En conclusion :
Pour créer votre propre méthode, comme vous l’aurez compris, vous aurez besoin :
-d’une pratique régulière des Arts Martiaux Français pour se forger un savoir-faire solide, et comprendre leur “état d’esprit spécifique”
-de l’envie de partager pour évoluer en se confrontant aux autres physiquement par le travail de l’assaut régulier et intellectuellement par les discussions qui ont lieu dans le cadre de l’Amicale des Arts Martiaux Français,
-et de l’audace pour essayer de nouvelles choses une fois seulement que l’on a acquis suffisamment d’expérience des Arts Martiaux Français.
Là, vous pourrez mettre en place une méthode originale qui s’inscrira dans une continuité tout en apportant des nouveautés contextualisées.
SuperFab
Au niveau juridique et fédérations, ministère etc ?
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